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En quête de mesures pour limiter le dérapage du déficit public, le gouvernement envisage d’instaurer une taxation des rachats d’actions. La mesure, arbitrée lors d’une réunion interministérielle le 23 septembre, a été transmise au Conseil d’Etat pour validation.
Pratique très répandue à Wall Street et taxée par le gouvernement de Joe Biden depuis janvier 2023, les rachats d’actions avaient atteint aux Etats-Unis un montant record de 932,4 milliards de dollars en 2022 (environ 850 milliards d’euros). En France, si cette pratique prend de l’ampleur année après année, on est encore loin de ces sommes.
Le CAC 40, c’est-à-dire les quarante plus grosses entreprises françaises, a battu en 2023 un nouveau record de rachats d’actions pour un total de 30,1 milliards d’euros. TotalEnergies, qui a réalisé les profits les plus importants en 2023, a procédé à près du tiers du total des rachats en France, soit 9,2 milliards d’euros de rachats d’actions. Cette pratique compte aussi de nouveaux adeptes, parmi lesquels BNP Paribas, Axa, Airbus ou encore Publicis.
Le rachat d’actions consiste, pour les entreprises cotées en Bourse, à acquérir certaines de leurs propres actions pour pouvoir ensuite les retirer du marché. Comme les dividendes, il s’agit en fait pour l’entreprise d’un moyen de redistribuer des fonds vers ses actionnaires. Mais, à la différence des dividendes taxés à hauteur de 30 % par le prélèvement forfaitaire unique (flat tax), les rachats d’actions échappent à la taxation immédiate.
En réduisant le nombre d’actions en circulation, le « gâteau » (le total des actions) est divisé en moins de parts, rendant les parts restantes plus importantes : sans rien faire les actionnaires possèdent une plus grande part du capital de l’entreprise. Ils bénéficient ainsi de la revalorisation du cours boursier de leurs titres (en diminuant l’offre sur les marchés, la demande augmente), et d’une hausse des dividendes par action.
« Cette pratique ne vise pas seulement à rémunérer indirectement les actionnaires, nuance Jérôme Giannesini, avocat fiscaliste au cabinet Grimaldi Alliance. En augmentant la valeur de l’action, elle permet également de protéger la société d’un rachat hostile par d’autres entreprises. »
Prenons l’exemple de L’Oréal, qui figure parmi les quarante plus grandes entreprises françaises. La société a réalisé 6,2 milliards d’euros de profit en 2023 et consacré 500 millions d’euros au rachat de ses propres actions.
A l’exception de l’année 2020, marquée par la pandémie du Covid-19, L’Oréal a procédé tous les ans au rachat de plus d’un million de ses propres actions au cours des cinq dernières années. Ce titre est particulièrement dynamique, avec une valeur qui a doublé en cinq ans.
La volatilité du cours de l’action ne peut cependant être limitée aux rachats et annulations d’actions ; le cours de l’action L’Oréal est surtout très dépendant du marché chinois. Par ailleurs, un nombre considérable d’actions est émis chaque année.
En décembre 2021, l’entreprise a racheté plus de 22 millions de ses actions pour 8,9 milliards d’euros à Nestlé, dans le but de les annuler au plus tard à la fin d’août 2022. Malgré une baisse du cours de l’action en 2022, celui-ci restait tout de même plus dynamique que l’ensemble du CAC 40. De son côté, Nestlé envisageait que les fonds dégagés par cette transaction participent à une opération de très grande envergure de rachat de ses propres actions, à hauteur de 20 milliards de francs suisses (21,2 milliards d’euros), étalée entre 2022 et 2024.
Symbole des dérives du capitalisme financier, Emmanuel Macron avait lui-même dénoncé le « cynisme » du rachat d’actions en mars 2023. Un an plus tard, c’était au tour de l’ancien premier ministre Gabriel Attal de fustiger les entreprises en dénonçant le fait que ces rachats se font aux détriments de l’investissement et des hausses de salaires, tout en remettant sur la table la possibilité de taxer les rachats d’actions. Une solution, de nouveau envisagée par son successeur, Michel Barnier.
Cette nouvelle taxe ne s’appliquerait qu’aux groupes dépassant le milliard d’euros de chiffre d’affaires et présents sur des places boursières. Les petites et moyennes entreprises ne seraient donc pas concernées. Matignon prévoit de ponctionner 8 % du montant nominal de la réduction du capital.
C’est sur l’assise du prélèvement que diffère fondamentalement la fiscalité mise en place aux Etats-Unis : « La taxe américaine s’applique sur le montant réel des rachats d’actions, soit la valeur réelle à laquelle a été vendue l’action », relève Jérôme Giannesini.
Celle envisagée aujourd’hui en France s’appliquerait ainsi sur la valeur nominale des titres, et non sur la valeur d’achat. Il s’agit de la valeur juridique et comptable de l’action, qui a été fixée arbitrairement au moment de la création de l’entreprise. A la différence de la valeur vénale de l’action qui fluctue en bourse, sa valeur nominale reste inchangée et nécessiterait une modification des statuts de l’entreprise pour évoluer.
Dans l’exemple ci-dessus, le rendement du prélèvement serait extrêmement limité du fait de la valeur nominale très faible de l’action L’Oréal. L’exemple de TotalEnergies, avec 142,5 millions d’euros d’actions rachetées en 2023 pour annulation générerait une taxe de 28,5 millions d’euros, pour une valeur nominale de 2,50 euros par action.
En considérant le système américain, la taxation à hauteur de 1 % de la valeur des rachats de L’Oréal et TotalEnergies aurait rapporté respectivement 250 et 3 fois plus. En France, l’estimation des recettes fiscales provenant de cette nouvelle taxe telle que prévue actuellement serait limitée à 200 millions d’euros environ par an.
Modification du 25 octobre 2024 : précision sur la taxation de la revente.
Romain Imbach et Lisa Boudoussier
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